Donc ces parents maltraitants n'ont pu transmettre un quelconque « art d'aimer ». Sylvie Tenenbaum parle d'ailleurs de la transmission du « mal-amour ». Mal amour, car ces enfants, avides d'affection, de reconnaissance, se positionnent souvent en êtres dociles, serviables, afin de recevoir l'amour, l'estime qui leur a tant manqué. Mais leur affectivité envers l'autre, loin d'être altruiste, n'est qu'un positionnement infantile et l'expression de leurs fantômes qui continuent de diriger leurs pas.
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Par Anne Marie

« Des enfants sacrifiés sur l'autel de l'incompétence et de l'immaturité de leurs parents. » Tels sont les mots de la psychothérapeute Sylvie Tenenbaum, dans son livre « Vaincre la dépendance affective » pour décrire ces enfants maltraités.
Enfants en mal d'amour, en mal de reconnaissance, ces individus, au psychisme cassé, abusé, profondément blessé et nantis de croyances négatives à leur égard, passent le plus clair de leur temps, arrivés à l'âge adulte, à tenter d'expier des fautes... qu'ils n'ont pas commises, afin de retrouver leur innocence qui leur a été si injustement volée.
Enfants de parents toxiques, ces enfants sont doublement victimes. Victimes de parents inaptes à la parentalité dans un premier temps, ces enfants finissent le plus souvent par devenir leur propre bourreau à l'âge adulte.
Une innocence sacrifiée
« Sans amour, les choses ne prennent pas de sens », écrivait B. Cyrulnik. En sus des abus subis, c'est à un véritable chaos psychique auquel l'enfant maltraité se retrouve confronté. On ne peut venir au monde qu'en lui donnant du sens. Or, comme l'écrit Cyrulnik, « il n'y a pas pire agression que le non-sens. » Et la maltraitance est un non-sens par essence, au-delà des actes eux-mêmes. La famille est censée être un lieu de protection, de sécurité et d'affection, un endroit où l'enfant peut partir à la découverte de son monde intérieur, puis extérieur, sans appréhension.
Malheureusement dans les familles maltraitantes, il est impossible à l'enfant de penser que ses parents sont mauvais. Le psychologue Moussa Nabati, dans son livre « Guérir son enfant intérieur », écrit de l'enfant victime de maltraitances, « que s'il n'est pas aimé, s'il est battu et rejeté, c'est sa faute. Il croit que c'est parce qu'il est mauvais, voire nocif, dépourvu de toute valeur, indigne de tout égard et de toute affection. » Il ne faut pas négliger non plus la toute-puissance infantile dans laquelle évolue le petit enfant qui l'amène à croire qu'il a nécessairement un rôle à jouer dans ce qu'il vit. Face à leurs maltraitances, l'enfant n'a d'autre choix que de penser qu'il est responsable de ce qu'il subit. Que son entourage a une bonne raison de se comporter ainsi. Si ses parents sont mauvais avec lui, c'est tout simplement parce que lui est mauvais. Il ne peut en être autrement. Ces personnes toutes puissantes, dont sa vie dépend, savent. Lui non.
Pour les enfants maltraités, ces foyers, dominés par une cacophonie de non-sens et d'abus, ne transmettent que désamour. Comme l'écrit Tenenbaum, « chaque maillon de la chaîne n'a transmis que du mal-amour ». Et c'est au travers de ces échanges que l'enfant va construire non seulement sa perception, sa vision de lui-même, mais aussi son rapport à l'Autre, au monde. Cette maltraitance va le positionner face à la vie comme un être indigne d'amour et rongé par la culpabilité d'être mauvais.
Les fantômes de la maltraitance
Que la maltraitance fut physique, psychologique, qu'elle fut directe, c'est-à-dire commise sur l'enfant ou bien indirecte, c'est-à-dire dans le couple parental, qu'elle ait pris la forme de négligences, chacun de ces actes ou non-actes a laissé une trace dans le psychisme de l'enfant, un traumatisme. Tout ce qui ne s'est pas vécu sainement dans l'enfance devient fantôme, nous explique le psychologue Nabati. Et ces fantômes, issus des traumas vécus et des manques ressentis, vont fortement influencer les choix et les comportements de l'adulte.
Rongé par la culpabilité d'être mauvais, l'enfant maltraité devenu grand s'évertuera, au travers de comportements sacrificiels, serviles, à prouver qu'il est bon, qu'il est digne d'amour. A l'instar des sacrifices d'antan, chaque sacrifice de lui-même sera dominé par la volonté inconsciente d'expier ses fautes, de se débarrasser de la culpabilité qui le consume. En vain, car seul lui-même peut l'en guérir. Et, comme le pécheur se flagelle et se condamne à la pauvreté, l'enfant maltraité ne peut s'autoriser le bonheur, l'abondance, convaincu de ne pas être méritant. Toute son énergie sera dépensée à la reconquête de son innocence et le rachat de fautes... qui n'ont jamais existé.
Mais cette expiation et cette quête de pureté, de reconstruction de l'estime de soi, ne sont pas les seules conséquences de la maltraitance. Le lien à l'Autre ne restera pas exempt de conséquences.
Les parents toxiques ne peuvent représenter un modèle acceptable. Malheureusement, même si le modèle n'est pas reproduit à l'identique, il n'empêche qu'il est intériorisé.
L'enfant maltraité, comme l'écrit Nabati, « continuera à se maltraiter masochistement lui-même, par identification à son agresseur, devenant son propre ennemi et persécuteur. » Cette intériorisation du rôle de l'agresseur pourra pousser l'enfant maltraité à faire des choix de relations ou de vie lui garantissant de pouvoir revivre ces abus, d'une façon ou d'une autre. Il est assez courant que le lien d'amour réveille la peur que l'enfant maltraité aura ressentie à entrer en relation avec ses parents, devant la toute-puissance qui les caractérisaient dans ses yeux d'enfants, devant l'impuissance qu'il pouvait ressentir à s'en protéger. Car le lien d'amour ne peut se construire dans la brutalité. L'un annihilant l'autre.
DICOT
lun, 06/29/2015 - 13:00
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